Ils l’appellent la « Paris du Moyen-Orient ». Ils n’arrêtent pas de repenser à ces jours où les touristes et les banques florissaient. Aujourd’hui, Beyrouth est une ville complètement différente, elle grandit sans qu’elle ne sache de quoi sera fait le lendemain. De nouveaux bâtiments d’érigent dans tous les coins, des publicités faisant leur promotion montre des hommes d’affaires occupés et des familles joyeuses. Les soldats surveillent les rues où les embouteillages rencontrent les voitures de luxe et de vieux taxis démodés. Des magasins traditionnels de mana’ish sont côte à côte des chaines de fast food à l’occidentale.
Beyrouth est une ville pleine de contradictions. C’est son épine dorsale, toute son histoire. Vous pouvez les aimer ou pas, et quelque fois même ses citoyens ne les supportent plus. De temps en temps, la haine explose. Quand vous voyez des gens marcher dans les rues, vous en venez à vous demander qu’il y a peu, la plupart se tirait dessus il n’y a pas si longtemps que ça. Comme me l’a dit quelqu’un, « ils devaient prendre un parti, ils devaient s’impliquaient ». C’est particulièrement vrai surtout lorsqu’on parle de guerre civile.
Alors que les gens, à juste titre, évitent les querelles ou se rappellent comment la vie nocturne est toujours en cours après le coucher du soleil, ses cicatrices sont encore visibles aujourd’hui. Peu de bâtiments emblématiques, des hôtels, des églises ou des salles municipales sont restés complètement déchirés, comme des monuments modernes d’un passé pas si lointain. Mais les impacts de balles apparaissent soudainement dans chaque coin de presque toute la ville, dévoilant la véritable étendue du conflit.
Beyrouth est la somme de ses quartiers et pas l’inverse. Ou c’est plutôt exactement cela qui fait que Beyrouth est Beyrouth. En marchant sur une rue toute droite, vous pouvez sentir que vous passez d’une bruyante shari’a arabe à une délicate rue française puis d’un quartier arménien encensé pour finir dans le luxe du centre-ville de Manhattan avec ses gratte-ciels. A un certain moment de la soirée, marchant sur ce qui était connu pour être la Ligne verte (l’ancienne ligne de démarcation entre les Musulmans dans la partie ouest de la ville et les Chrétiens dans la partie est), vous pouvez clairement entendre la voix mélodieuse du muezzin venant d’un côté défiant par les cloches de l’église sonnant de l’autre côté.
Même ses habitants semblent suggérer qu’un certain chaos gère toute la ville : alors que tout le monde semble satisfaire ses besoins et se fond dans cet abstrait dessin, Beyrouth ne semble appartenir à personne. Qui peut prétendre être son noyau ? Serait-ce la classe supérieure, riche, ou les banlieusards pas si riches ? ou les milliers d’expatriés installés depuis des générations ou les nouveaux réfugiés syriens dont leur nombre, après une estimation approximative, s’élève à un million ? Sans parler des soudanais et des bengalais qui font le travail les plus modestes. Sans parler non plus, des Palestiniens, qui sont marginalisés presqu’oubliés dans le camp de réfugiés tristement célèbre de Shatila, à la frontière de la ville.
Je pourrais parler du ridicule nombre d’ONG et d’institutions internationales établies ici, chacune avec ses objectifs, ses valeurs et son petit domaine de travail. Je pourrais parler des coupures d’électricité d’une heure qui définissent le temps qui s’écoule et le lent mouvement des nuages dans le ciel.
Je n’ai rien dit à propos de la formidable cuisine (« écrire au sujet de la cuisine c’est comme danser à propos de l’architecture » sera ma justification). Vous pourriez croire qu’il y a des dizaines de choses qui manquent et vous auriez probablement raison. Mais il y a une raison à cela : vous devez venir et découvrir Beyrouth par vous-même.
Méfiez-vous de celui qui prétend parfaitement connaître Beyrouth car c’est dans l’esprit de la ville de ne pas être comprise, de ne pas être la même l’instant suivant, de ne pas être maîtrisé. Ce sont les rues elles-mêmes qui vous racontent son histoire : chacune a son propre nom mais vous ne vous en souviendrez jamais.
Dario Modugno