Mario s’assoit devant, parce qu’au début, quelqu’un nous a dit qu’il était plus convenable aux femmes de s’asseoir derrière. Je n’ai jamais été convaincu de ce conseil mais la plupart du temps, on ne fait que suivre ces codes car cela fait partie du « bon ton » jordanien de le faire.
Donc, je disais que Mario s’assoit à l’avant et salue élégamment le chauffeur de taxi essayant de son mieux de prononcer correctement la formule arabe internationale de salutation « Salam aleikum » de laquelle est immédiatement suivie la réponse.
Les premières minutes sont calmes. Le chauffeur transpire en silence et supporte ascétiquement les embouteillages. A la radio, un classique égyptien. On maudit la chaleur et le manque de transport en commun dans la ville. Mario ressent la situation. Je le vois pensif. Il commence à toucher compulsivement ses locks blondes. Il devient agité, le siège en cuir commence à le démanger. Il se tourne vers moi : « Comment on dit Est-ce que je peux fumer en arabe ? ». Je lui réponds. Il y réfléchit. Il me demande encore. Je lui réponds encore une fois. Il réfléchit encore un peu et finalement, il se lance. « Mumkin adakin hun ? ». Je sais, ce n’est pas parce qu’il a besoin de fumer. Il veut juste établir une connection. L’homme lui sourit et lui propose une cigarette. Mario le remercit et lui montre qu’il a son propre paquet et par retour de courtoisie, lui propose à son tour une cigarette. Après une longue négociation, il finit par accepter celle de l’homme. Je ne sais pas comment ni quand ni en quelle langue cela a commencé mais dès lors, s’ensuivit une conversation profonde sur des sujets passionnants.
Ce modèle est sujet à de petites variations quoiqu’inattendues. Les résultats sont imprévisibles et généralement splendides. Une fois, il y avait un gant de boxe en porte-clés suspendu au rétroviseur. Il était au couleur de je-ne-sais quel pays, quelque part en Asie centrale. Mario le pointa du doigt et lui dit le nom du pays accompagné d’un éloquent point d’interrogation. Cela se finit par le chauffeur lui montrant des vidéos de match de boxe sur son téléphone. Le gars était boxeur professionnel dans son pays. Il a dû arrêter par la suite. Pas d’argent, pas de temps.
Un autre jour, le chauffeur de taxi avoua qu’il était un célèbre commentateur de football dans le monde arabe. Il avait aussi des enregistrements sur son smartphone. Nous avons écouté. Il avait une voix puissante et passionnée. Lui et Mario on commencé à parler de Napoli et des joueurs italiens en général. Il connaissait même les noms de tous les joueurs de foot italiens d la série C.
Des fois, même plusieurs fois, les chauffeurs sont palestiniens. Nos leur demandons de quelle ville, et au nom de Naplouse, les souvenirs de notre récent voyage en Cisjordanie commence à florir et au lieu de lui poser des questions, on parle de notre propre expérience, de combien nous avons aimé la Palestine, combien c’est beau, de ce que nous avons fait, ce que nous avons visité et ce que nous avons mangé. Nous remarquons à la fois de la fierté et de la tristesse dans leurs yeux et nous sourions.
Une fois, Mario et moi avons eu une conversation, je ne me rappelle pas si j’ai commencé cette conversation ou s’il l’a fait, ou si je me suis simplement imaginé avoir cette conversation avec lui, mais tous ces détails ne sont pas vraiment importants. C’était après une course folle en taxi avec un chauffeur fou qui roulait à vive allure, qui zigzaguait et doublait les voitures, la radio à fond avec de la musique disco, et lui, dansant sur son siège, parlant aussi vite qu’il conduisait, à propos de football, de l’Italie, des voitures de marque et des immigrés philippins.
Après cela, Mario et moi, nous sommes trouvés en train de faire des hypothèses sur la vie de cet homme, avait-il une femme qui l’attendait de rentrer de ses courses folles, que lui dit-elle quand il rentre, est-ce qu’elle l’attend quand il rentre tard, passe t-il d’abord par un bar pour fumer argila avec ses amis avant de rentrer. Je ne peux pas vraiment expliquer pourquoi cela valait-il la peine de le mentionner ou de m’en rappeler. Je pense que c’est juste parce que j’ai senti que nous partagions cet intérêt « d’espionner », cette « curiosité » sur la vie des étrangers, cela ne vous arrive t-il jamais de regarder une fenêtre et d’essayer d’imaginer la vie des personnes qui y vivent ?
Mais des fois, généralement la nuit, la radio remplit le taxi de la mélodie enchanteresse de la récitation du Coran. Alors, nous restons calmes, nous respectons le silence de l’homme absorbé par sa course tranquille et nous nous noyons dans nos propres pensées, admirant les lumières de la ville et laissant la voix du tajweed nous bercer jusqu’à la maison.
Mario a sa manière de briser la glace avec les étrangers qui savent qu’ils vont partager juste quelques minutes ensemble. Ce que je pense, c’est que peut-être, il aime un regard, une ride, un objet de l’homme. Et il commence à lui poser des questions en utilisant ces trois mots d’arabe qu’il a appris, poussant l’homme à parler le peu d’anglais qu’il connait et quand les ressources linguistiques se font rares, la communication passe à un autre stade, qui je suppose, on appelle le langage du corps mais que je préférerais appeler métaphysique.
Ces brèves promenades dans les rues d’Amman, qui peuvent passer inaperçus dans le flux chaotique de tous les jours, nous donne un regard sur les vies d’une quantité de personnes.
Un chauffeur de taxi qui est juste supposé nous ramener de l’autre côté de la ville, nous laisse en réalité faire un tour dans ses microcosmes, partageant des moments de sa vie, ses rêves, ses souvenirs, ses expériences que nous ne verrions jamais si nous regardions par la fenêtre.
Alessia Carnevale