L’une des choses qui vous frappe le plus quand vous arrivez à Beyrouth, c’est la présence massive de soldats, des check points à travers toute la ville, et à travers le pays. Le déploiement impressionnant de soldats, l’énorme usage des fils barbelés et des barrières anti-casse, ont eu un impact important sur moi et je me suis mise à m’imaginer que le Liban était comme une grande forteresse.
Cela survient dans les circonstances les plus simples de la vie quotidienne – prendre le bus, monter dans une voiture ou un taxi – de repérer les check points avec un nombre considérable de soldats et de petits drapeaux sur lesquels sont inscrits « Jaysh Lubnan », « armée du Liban ».
Malgré le fait que Beyrouth ressemble à une métropole grande et moderne, avec tout le confort, la prolifération des check points et des contrôles dans presque toutes les zones et quartiers fait que cette même ville prend l’apparence d’une géante « boîte militaire ». Les procédures de contrôle sont souvent assez rapides (jeter un œil sur le passeport, peut-être quelques questions sur les raisons de votre présence au Liban) mais l’atmosphère, à travers le regard d’un étranger, est perçue comme lourde et à certain égards, forcée.
Même si un observateur étranger perçoit la surabondance de contrôles militaires comme quelque chose d’anormal et d’étrange, observer les militaires armés jusqu’aux dents circuler dans les rues de Beyrouth respire un air inhabituel de normalité. Les citoyens libanais semblent osciller entre une acceptation passive du statu quo (« c’est comme ça et on ne peut rien y faire ») et une sorte de gratitude pour la présence de l’Armée qui dans un contexte d’instabilité politique, la peur de la situation dans les pays voisins, procure une certaine d’assurance – ou du moins un semblant – de protection et de sécurité.
L’utilisation des check points militaires ne se limitent pas au contrôle des zones frontalières, mais est largement utilisée au sein même de Beyrouth ce qui multiplie et amplifie les frontières internes prenant la forme d’un dispositif de contrôle de l’immigration, en particulier parmi les nombreux réfugiés Syriens et Palestiniens, qui habitent souvent depuis des années dans la ville, mais qui sont toujours marginalisés car l’égalité des droits ne leur est toujours pas reconnue.
Le contrôle croissant des frontières et leur multiplication, à l’intérieur comme à l’extérieur des pays, reflète, à mon avis, la tendance générale de la gestion internationale des migrations. En fait, les check points à Beyrouth marchent vraiment comme une frontière pour les personnes sans papiers vivant dans des camps de réfugiés au Liban et qui limitent la liberté de circulation de nombreuses personnes résidant actuellement dans le pays.
Le renforcement du contrôle des frontières et du processus de sécurisation en cours, justifié par la crise syrienne, a propagé une menace sécuritaire qui n’est pas seulement un outil pour le gouvernement de canaliser un ressentiment populaire envers une xénophobe et raciste victimisation des réfugiés syriens mais cela marche surtout comme un dispositif de discrimination produisant différents statuts donc un accès différents aux droits et font des migrants des personnes vulnérables à plusieurs pratiques d’exploitation.
A partir de là, ce qui me semble clair, c’est que les frontières ne sont pas que de simples barrières et la gestion des frontières n’a pas pour but d’empêcher ou bloquer la mobilité une fois pour toute. Les deux dispositifs créent différents degrés d’inclusion ce qui signifie différents accès aux droits et donc une exploitation de leur vulnérabilité.
La frontière est devenue un outil d’inclusion qui sélectionne et filtre les personnes à travers un processus qui inclut différentes formes de violences qui n’ont rien à envier à ceux qui emploient des mesures d’exclusion.
Toutes ces considérations à propos de la sécurité et de la gestion des frontières, me rappelle directement l’Europe où la nouvelle politique de gestion des frontières est intimement liée aux restrictives politiques de migration. La politique des frontières appliquée en Europe et tous les discours sur les migrations comme menace de la sécurité, de l’identité et du bien-être national, a beaucoup en commun avec ce qui se passe au Liban.
Les frontières européennes sont de plus en plus contrôlées : l’augmentation des agents de patrouille ayant à leur disposition des équipements technologiques et de pointe ; de nouveaux acteurs sont mis en place au contrôle des frontières mais l’idée sous-jacente à tous ces contrôles est de ne pas éviter les migrations mais de gérer et d’articuler ces flux migratoires afin de créer un espace exceptionnel où les droits ne seront pas reconnus et en sursis à jamais.
L’institutionnalisation de la gestion des frontières dans la mer Méditerranée est un symptôme évident du processus d’application des frontières mais il devrait être reconnu que ce processus a toujours fait face à des défis mis en pratique par les migrants, qui, chaque jour, enfreignent cet ordre et forcent les politiques de contrôle à concorder avec les pratiques de migration qui structurellement dépasse les méthodes de réinitialisation des frontières.
Ce que nous voulons souligner c’est l’importance de la reconnaissance des frontières non pas comme quelque chose de fixe et d’immuable mais plutôt comme un lieu de tension entre déni et accès, mobilité et immobilisation.
Considérer le pouvoir des frontières pas seulement comme quelque chose de négatif avec la possibilité d’installer les nouvelles politiques de contrôles dans des logiques gouvernementales plus larges tout comme cela nous permet de ne pas regarder les migrants comme des gens dans le besoin mais comme de nouvelles subjectivités politiques émergentes.
Cela permet de passer outre la rhétorique humanitaire et sécuritaire rendant plus compréhensible un phénomène qui devient de plus en plus important à l’échelle mondiale et qui contribue à organiser et à structurer différentes sphères de nos vies.